lundi 21 juillet 2008

T-Bone Burnett - Tooth of Crime

T-Bone Burnett – Tooth of Crime
Ou Une soirée presque ordinaire de journaliste solitaire, par Christian Izorce.

Retrouvez cette découverte musicale et bien d'autres sur EcoutezVoir magazine : www.evmag.f


L’autre soir, avec Antoine - qu'au passage je remercie chaudement de m’avoir accueilli sur son blog -, je vais dîner chez un ami commun qui fait profession d’enregistrer de nombreux bijoux de l’actualité musicale (jazz, world, variété inspirée, …) et qui possède un très gros système haute-fidélité.
Ce dernier nous fait écouter deux morceaux de T-Bone Burnett … dont j’avais maintes fois entendu parler, mais dont je ne connaissais rien (à part l’excellent Humans from Earth de la BOF d’ «Until the End of the World» de Wenders). Je l’avoue sans vergogne, mais avec une petite boule dans la gorge tout de même.
Le titre de l'album ? True-False Identity.

La claque ! Génial ! Énorme ! (Ca ne veut rien dire mais je n’ai trouvé que ça)
Aussitôt entendu aussitôt acheté ? Et bien non, car le lendemain, chez mon épicier (pourtant bien approvisionné), ils ne l’avaient plus. Mais ils avaient le tout dernier opus, paru en Mai dernier, de cet audacieux bluesman. Tiens, gravé chez NoneSuch ? Ca ne peut point être mauvais … Et hop, dans le cabas !

Rentré chez moi, je me mets en condition : Le Fil de Camille (et son « Oooom » final d’une demi-heure, une merveille), puis La Mort d’Orion de Gérard Manset (historiquement psychédélique) et enfin, T-Bone Burnett et son tout récent Tooth of Crime.

Car j’ai une dent creuse.
Le festin n’était pas terminé.
Dix morceaux de pure bravoure.
Il faut que je vous raconte …

1. Il martèle, ce rock’n’roll ! Il syncope, ce jerk ! Il balance, ce swing à trombone ! Et le T-Bone, il a l’air de balancer tout le monde, aussi ! On l’imagine content de lui, lèvre dédaigneuse et basculé de tête arrogant. Ca s’appelle Anything I can say can and will be used against you. Et je crois que tout est dit.

2. Balade-duo chaloupée aux voix innocemment innocentes au regard du titre, Dope Island, et des paroles (We lived outside the law/we struck with wild desire/…/But now the night’s gone dead/The hours filled with dread). Fondations rythmiques abyssales et sonorités délicatement caverneuses.
N’étaient les lyrics, le prototype du slow de l’été.
- Hein ? … Ah bon ? … Ca n’existe plus depuis 1982 ?

3. The Slowdown. Tiens donc ? Une manière de McCartney frais et dansant, mais un peu passé à la machine à tartare : haché-menu-quelques-câpres-une-goutte-de-Tabasco-bien-au-centre … et, allez, un œuf à cheval jaune mollet posé dessus ! Un rien jouissivemment répétitif, comme une marche militaire d’objecteurs de conscience.

4. Blind man, auquel on se raccroche, superbe duo expressionniste de la chanteuse Sam Philips et du guitariste Marc Ribot. Une vraie chanson de song-writer (comme ça, j’évite en apparence toute répétition dans la même phrase), statique, belle et émouvante. Il a du cœur cet homme-là, quand même !

5. Re-tiens ! Une sorte de McCartney reconstitué, à grand renfort de jolis boum-boums très très graves et de cordes nappées de sirop d’érable. Et ça s’appelle Kill Zone. Mon Dieu, mais où sommes-nous donc, ma chère ?

6. Et ça, c’est la corde qui doit nous pendre qu’on entend au début ? Gloups. Ah non, c’est une guitare ! … Effectivement c’est Rat Age, mais rien à voir avec l’horoscope oriental. Voix d’outre-égout, guitare bien présente mais également souterraine, percussion et bruits de tuyaux déployés en grand arc-en-ciel sonore (ciel très couvert, toutefois). Une chanson d’anticipation qui va vous faire passer le goût de la science-fiction. Ca déménage, pas à grande vitesse, mais avec morgue et autorité. Je cite les paroles (avec l’aimable autorisation du doyen de la Faculté de Nécro-Futurologie) : "I was conceived in a behaviour station/Light years from civilisation/…/As earthman battle for their skins/I come down with the aliens/…/We’ve broken the genetic code/And left it bleeding by the road …". Et je vous laisse découvrir suite et fin. Ca vaut son pesant de cri de haine balancé à la face … des seulement quelques uns qui vont acheter ce disque, et qui, déjà, sont convaincus. C’est vrai mais, quand même, ça va encore mieux en le disant.

7. Ca rampe comme un serpent à sonnette qui susurrerait « Swizzle stick, swizzle stick » en permanence. Ca grince, mais là aussi, ça pousse, comme une rengaine rouillée qui couine mais qui roule. Finalement c’est ultra-binaire, je veux dire le rythme, mais c’est … venimeux … et épide(r)mique. Pour la petite histoire un swizzle stick c'est un agitateur (pour cocktails). Explosif, non ?

8. Telepresence (Make the metal scream). Étonnamment calme pour un titre ! … Enfin calme, en apparence. Voix métallisée déphasée, qui enveloppe et entraîne dans une mélopée en mode mineur et descendant. Déchirant comme un Heartbreak Hotel, façon John Cale bien entendu. Vous voyez ? Et bien, c’est encore mieux, mais en pire.

9. Here come the philistines. Sorte d’anti-rap à caractère néanmoins dénonciateur, construit comme une litanie revancharde sur la société d’aujourd’hui … et ses dirigeants. Parsemé de riffs amers et tranchants. Un régal !

10. Sweet Lulabby. Et pour finir, une petite douceur pour la nuit en forme de gentille balade avec instruments anciens et accents orientaux. La voix inquiète un peu, tout de même. Oh, si peu.

Le lecteur dEcoutez-Voir sera soulagé d’apprendre que T-Bone Burnett, à l’instar de quelques autres personnages du rock mondial tels que Neil Young, a plutôt vu d’un mauvais œil l’arrivée des technologies numériques dans l’audio, et prône depuis de longues années l’application de précautions toutes analogiques à l’enregistrement d’un album. Ses disques (les récents, au moins) sont donc d’une très haute qualité de production et d’enregistrement, mais dont on ne profitera pleinement qu’avec un très bon système hyper-résolu. L’écoute avec un matériel « full range » et apte à reproduire un espace tri-dimensionnel très aéré s’impose ! On appréciera alors le positionnement précis et détouré des éléments de la scène sonore, ce qui en l’occurrence apporte une dimension supplémentaire de compréhension des morceaux. Et pour se faire un peu plus peur encore, il convient d'écouter ce disque sur un système descendant très bas et très fermement dans le grave. Si ces conditions sont réunies, le frisson est garantit.

Bon, vous avez compris ? On parle de T-Bone Burnett comme on parle de mecs de la trempe de John Cale donc, de Dylan, Zappa, Captain Beefheart, Tom Waits. Et du regretté Waren Zevon, aussi.
Rien que ça ?
Oui. Et juste après on fait silence.


Et un grand merci à Philippe, grâce à qui j’ai bien entamé le T-Bone.

Les autres étapes du parcours :

Camille – Le Fil













Gérard Manset – La Mort d’Orion

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Si vous aimez Neil Young, je vous conseille le disque (CD+DVD paru en 2007) "Live at Massy Hall", 1971. Du Grand Neil, bien capté et restitué sur disque(voix, guitare et piano + le public dans la salle évidemment).

Cordialement
Philippe André