samedi 30 août 2008

Nikon VS Canon: la lutte sans merci continue

Nouveaux Canon EOS 50D et Nikon D90: les deux leaders de la photo numérique fourbissent leurs armes avant la Fotokina


Cette fois-ci, les choses paraissent claires chez les deux leaders japonais du reflex numérique : les boîtiers d’entrée de gamme et expert devraient rester fidèles aux capteurs dits APS-C, qui permettent d’obtenir un excellent compromis entre encombrement, poids et qualité d’image, alors que les professionnels se voient proposer des boîtiers dotés de capteurs plein format, équivalant 24 x 36, pour profiter d’une meilleure sensibilité dans les basses lumières et d’un piqué d’image exceptionnel.

Si Canon est longtemps resté en tête des ventes grâce à une gamme de reflex bien positionnée dans tous les secteurs, Nikon a fait plus que réagir ces derniers mois à travers le D300, un reflex doté d’un capteur APS-C de haut de gamme qui se place à la frontière entre les gammes pro et grand public, et le fameux nouveau D700, qui propose un capteur plein format et la quasi-totalité des avantages du D3 à moitié prix. En attendant l’arrivée probable d’un 5D Mark II à la Fotokina pour concurrencer le D700, Canon se devait de réagir pour résister au D300 dont les ventes s’envolent sur le marché français comme à l’étranger.



Voici donc venu le temps du Canon EOS 50 D. Ce nouveau boîtier propose un capteur APS-C comptant 15,1 mégapixels, soit 50% de pixels en plus que le 40D, le tout pour un prix conseillé de 1499 euros. Ce capteur haute définition est accompagné d’un nouveau processeur baptisé Digic IV qui traite les images sur 14 bits tout en offrant _ du moins sur le papier _ une sensibilité impressionnante de 12 800 ISO et une cadence rafale de 6,3 images par seconde sur 90 vues en mode JPEG. Comme sur le Nikon, on retrouve également un mode LiveView, qui permet de se servir de l’écran arrière pour viser et déclencher, sans passer par le viseur. Une fonction finalement peu utile, dès lors que l’on décide d’acheter un reflex, mais qui rassurera sans doute les néophytes… On restera moins impressionné par le système autofocus sur 9 capteurs, tout en saluant sa totale compatibilité avec les accessoires du 40 D, modèle qui reste d’ailleurs au catalogue. Enfin, le 50D est offert en kit avec un EF-S 17-85 IS USM à 1799 euros et à 2099 euros avec le nouveau et très performant EF-S 18-200 IS, qui présente sans doute le meilleur choix pour un premier équipement.

Sur le papier, le Canon EOS 50D possède donc de nombreux arguments pour convaincre. Seulement voilà, il semblerait que Nikon ait bien préparé sa rentrée, en dévoilant au même moment un nouveau boîtier expert, le D90, qui vient remplacer le vieillissant D80 de fort belle manière pour concurrencer le 40 D et offrir ainsi une alternative convaincante à chaque boîtier de son concurrent.




Le Nikon D90 reprend le même design que son prédécesseur, mais remet les pendules à l’heure en matière de résolution avec un capteur APS-C comptant 12,3 mégapixels, directement issu de son grand frère D300 (vous suivez toujours ?!) pour un tarif de 949 euros boîtier nu. Mais la grande nouveauté vient surtout de sa capacité à réaliser de la vidéo, une première pour un reflex, avec son mode LiveView qui, combiné à un prisme spécifique qui peut rester en position haute pour filmer en 1280 x 720 pixels en profitant du petit micro intégré. Évidemment, il ne s’agit pas du seul argument de ce nouveau boîtier, mais gageons que cette fonction amusante donnera peut-être envie à certains photographes amateurs de passer à un boîtier reflex plutôt que de se contenter d’un « vulgaire » bridge… d’autant que l’on pourra profiter des belles optiques grand-angle interchangeables qui caractérisent le système reflex pour capturer des films dans les meilleures conditions.
Pour le reste, le D90 fait évidemment mieux que le D80 qu’il remplace, et ce dans tous les domaines. Avec notamment une cadence « moteur » poussée à 4,5 images par seconde, un autofocus sur 11 points Multi-CAM 1000, la dernière version du processeur Expeed, qui offre une sensibilité de 6 400 ISO comme sur le grand frère D300, le D-Lightning actif, qui offre une correction automatique et efficace des sous-expositions et surexpositions en JPEG, mais aussi, ce qui est plus original, un mode de correction de la distorsion des objectifs de la marque, qui facilitera la vie au jour le jour.



Parallèlement à la sortie du D90, Nikon annonce l’arrivée d’un nouveau zoom trans-standard stabilisé, dédié aux capteurs DX (c'est-à-dire APS-C) baptisé Nikkor AF-S DX VR ED 18-105 mm (ouf !) dont la plage de focale est équivalente à un zoom 24 x 36, 27-157 mm, et qui offre une ouverture maximale comprise entre f 3,5 et f 5,6, le tout pour seulement 299 euros. Offert en Kit avec le D90 à moins de 1300 euros, ce zoom permet à Nikon de se maintenir au meilleur niveau dans la bataille sans merci que se livrent les deux spécialistes du reflex numérique… pour le plus grand bénéfice du consommateur !


vendredi 29 août 2008

Deux coffrets consacrés à John Cage chez Brillant Classics

Who is afraid of John Cage ?

par Christian Izorce

John Cage au travail dans les années 40


Brilliant Classics, jeune label néerlandais désormais bien connu pour ses monumentales monographies à prix économique (Bach, Mozart, Beethoven, Brahms), s’intéresse également à l’œuvre de certains compositeurs contemporains.
Il en va ainsi de John Cage (1912 – 1992) et de ses œuvres pour piano préparé, toutes rassemblées sur trois CD dans un pack paru en 2007. Plus récemment encore, l’intégralité de son œuvre pour piano et voix, et de son œuvre pour piano et violon ont fait l’objet d’un même traitement chez cet éditeur.
Il convient de saluer cette initiative, assez étonnante d’ailleurs chez un éditeur qui vise initialement un assez large public.
Commençons notre parcours par le second coffret cité, qui propose un panorama d’œuvres finalement assez abordables, par contraste avec les pièces pour piano préparé dont la découverte nécessite sans doute une petite mise en condition.

Four Walls - Complete works for piano & voice and for piano & violin
Brilliant Classics 8850 – DDD (3 CD)

Réécoutés aujourd’hui, les "Four Walls" composés par Cage en 1944 ont quelque chose de prémonitoire. Il émane en effet de ces plages rythmées et dramatiques une impression d’autorité et de sobriété que l’on peut retrouver, quelques décennies plus tard, dans les improvisations d’un certain … Keith Jarrett, pour ne citer que lui. Le pouvoir de conviction immédiat que développe cette suite fait rapidement oublier que l’on écoute l’un des compositeurs les plus hardis de toute l’histoire de la musique. Toute de force contenue ne demandant qu’à se sublimer, l’interprétation de Giancarlo Simonacci est d’une majestueuse et sombre évidence.

Plus brillant et démonstratif que les "Four Walls", le Cage des "Seasons" (1947) joue ostensiblement dans la cour des Ravel et des Debussy. Le propos naturaliste y est sans doute pour quelque chose. Une très belle pièce, elle aussi susceptible d’enchanter de nombreuses oreilles.

"Nocturne" (1947) et "Six Melodies" (1951) se situent dans la même veine que celle du fameux "Quatuor à Cordes" où Cage abandonne notamment l’emploi du vibrato, ornementation typique de cette forme et qu’il considère comme totalement superflue, voire relevant du pur pathos. Il ne reste donc des instruments à cordes (ici, du seul violon) qu’une ligne pure et souvent délicate, d’une intemporelle et fragile beauté. Cette caractéristique est mise en exergue par le jeu fin et presque plaintif de David Simonacci. Ces "Melodies" possèdent un pouvoir d’envoûtement manifeste. Certaines d’entre elles évoquent naturellement quelque folklore dont on ne saurait précisément situer l’origine : ce n’est ni balkanique, ni celte, ni indien… mais peut être un peu de tout cela à la fois ? D’autres plages luisent doucement d’une belle lumière diffusant une quiétude sans limite. De magnifiques pièces, hypnotiques, invitant à la méditation et à l’introspection. Somptueux et évanescent.

Plus statiques encore que les plus calmes des pièces précédentes, "Two4" (1991) et "Two6" (1992) sont deux objets célestes aux pulsations d’une extrême lenteur. En quelque sorte, le minimalisme fait musique. Le jeu du violon en quart de tons confère à ces morceaux une saisissante étrangeté. Si Satie est le père assumé de la «musique d’ameublement», alors Cage est sans nul doute celui de la «musique du dénuement».

Les "Melodies" distillaient des climats propices à la méditation ; "Two4" et "Two6" confinent résolument au transcendental.

Commentaire technique :

Le piano est ici merveilleusement consistant et bien enveloppé de résonnances qui dramatisent encore son expressivité. Il affiche sur toutes les plages une pureté minérale et une rigueur harmonique poussées, dans le cadre d’une prise de son au spectre très étendu.
Le violon est enregistré de très près, ce qui lui donne un caractère tonal tout à fait particulier (à la fois mat et parfois presque grinçant), assez peu souvent rencontré au disque, et rarement perçu de cette manière en concert. De ce point de vue, la toute première écoute peut dérouter. Les bruits de frottement de l’archet, indispensables, sont particulièrement bien mis en relief.


Complete Music for Prepared Piano
Brilliant Classics 8189 – DDD (3 CD)

Les pièces pour piano préparé sont évidemment d’un abord plus difficile que celle citées ci-dessus. Rappelons que John Cage, esprit rebelle et avant-gardiste, sorte de dadaïste en musique, seul ou au sein du mouvement Fluxus, fût l’un des premiers, immédiatement à la suite d’Henry Cowel, à vouloir détourner – pervertir ? - la structure harmonique de l’instrument en insérant ou en posant sur ses cordes des objets de toute nature. Cette pratique a ensuite été reprise par d’autres compositeurs ou performers, de manière ponctuelle ou plus systématique, et ce dans des répertoires variés. On peut notamment citer le compositeur russe Alfred Schnittke, assez coutumier du fait, ou encore le guitariste Fred Frith, auquel nous avons récemment consacré un compte-rendu de concert relevant justement de cette pratique.
Pour le jeune Cage des années 40, outre la démarche purement iconoclaste s’apparentant à un sabotage de l’instrument et du répertoire qui lui était jusqu’alors associé, il s’agissait aussi de créer des musiques et sonorités originales (évoquant celles du gamelan indonésien) pour accompagner notamment les ballets de Merce Cunningham, chorégraphe américain dont il était très proche.

On ne soulignera ici que le caractère totalement inouï du résultat sonore (pour l’époque en tous cas… mais sans doute encore aujourd’hui !), qui met en exergue les aspects percussifs du jeu pianistique, tout en écourtant la durée des notes et en "acidifiant" ou en "métallisant" les timbres. Les obstacles constitués par les points de contact des objets avec les cordes contribuent en effet à décaler les fréquences de résonnance des cordes vers l’aigu, à freiner leurs modes de vibration libres, et à faire apparaître des toniques liées à la nature et à la forme mêmes des objets déposés. Il reste que cette dégradation du contenu harmonique des notes et accords vers une espèce de fausseté tonale - la matière sonore semblant comme «évidée» - peut ne pas être du goût de tout le monde…


Et le piano préparé le plus ultime, le plus définitif, est sans nul doute celui de l’installation "Infiltration-homogen for grand piano", réalisée en 1966 par son acolyte de Fluxus Joseph Beuys, et qui est lui totalement réduit au silence puisqu'entièrement enveloppé d'une épaisse ganse de feutre !
Un silence d'ailleurs cher à Cage.

Mais revenons au tryptique édité par Brilliant Classics, qui regroupe donc la totalité des compositions de Cage pour piano préparé, c'est-à-dire plus de trois heures de musique au total, dans les interprétations compétentes et précises de Giancarlo Simonacci, décidément grand spécialiste de Cage.
A l’étrangeté des sonorités se combine l’originalité de la composition des pièces, souvent de forme miniature, en une espèce de tout où forme et fond s’avèrent absolument indissociables.

Pour aborder ce répertoire que l’on peut qualifier de difficile, on commencera tout naturellement par les premières pièces du CD n°1, composées entre 1940 et 1943, et qui sont d’une matière puissamment rythmique. Leur construction affirmée présente des motifs bien dessinés et récurrents - à défaut d’être parfaitement "mélodiques" -, auxquels l’oreille pourra assez facilement s’agripper. Un souffle jazzy parcoure même certains titres tels que «Primitive», et pourront par exemple faire penser au jeu martelant développé par le pianiste Ahmad Jamal dans ses plus récents disques ... ou même de plus anciens. On pourra également évoquer le caractère ludique et drôle de la majorité des scènes de la suite "The Perilous Night" (1943-1944), ou de "A Valentine Out of Season" (1944) et de "Mysterious Adventure" (1945).

Dans un second temps, les "Sonates et Interludes" pourront être appréciés en dépit du – ou plus justement pour le – délitement manifeste de la structure musicale qu’elles affichent. Cette esthétique rejoint finalement l’attirance de Cage pour le vide, la déconstruction des schémas établis, l’émergence du hasard dans l’œuvre musicale – et dans l’œuvre d’Art tout court. Même si ces pièces sont rigoureusement écrites et ne peuvent donner lieu qu’à de relatives variations d’interprétation, il est indéniable que l’impression d’écoute globale et spontanée qu’elles génèrent les place sur des terres incertaines, chaotiques, dont le relief semble se dérober sous les pieds à mesure qu’on les parcoure. Leur exploration reste donc délicate.
A l’instar d’autres œuvres contemporaines qui présentent un caractère ostensiblement provocateur (que ce soit dans l’instrumentation choisie ou l’écriture ou les deux), il faut aborder ce répertoire sans a priori, dans une disposition d’esprit s’interdisant tout jugement immédiat. Au final, on reste évidemment libre de ne pas apprécier ce que l’on entend !

Commentaire technique :

Ce second coffret de 3 CD très bien réalisés est réellement un must pour qui souhaite découvrir et approfondir ce pan si particulier de la musique du XXe siècle. Il jouit d’une qualité d’enregistrement qui fait bien ressortir tout ce que ces sonorités ont de particulier, avec une excellente notion de matière. On profite également d’une très bonne spatialisation des sons suivant l’arc correspondant à l’extension physique réelle du piano.


dimanche 17 août 2008

Christophe - Aimer ce que nous sommes : un album différent et personnel

Pour beaucoup, à commencer par votre serviteur, Christophe est longtemps resté le symbole d’une certaine forme de variété douce-amère, acidulée à souhait par des claviers d’un autre âge. Un porte-drapeau d’une culture qui me fit danser et flirter à mon adolescence, aux accents de ces yeux bleus délicieusement kitch pour lesquels je garde forcément une tendresse particulière.

Et puis Christophe a disparu, comme s’il refusait de se cantonner à sombrer dans la nostalgie de ses succès pour faire bouillir la marmite, comme certains de ses confrères. En 2001, il refait surface avec Comme si la terre penchait, un album sombre et subtilement arrangé par un artiste pluriel et singulier, marqué par une vraie inspiration, des textes et des compositions troublants et ambigûs, la sensibilité à fleur de peau.

Il aura fallu sept ans de plus pour donner naissance à Aimer ce que nous sommes. Des rencontres, sans doute beaucoup de nuits blanches comme il les affectionne, une envie de se projeter plus loin encore, un peu à la manière d’un Bashung dans son Imprudence, vers ce mélange original et inattendu de poésie simple, d’arrangements parfois flamboyants, sans oublier pourtant le côté « néon juke-box lino » qui caractérise son univers crépusculaire et sensuel.
Si « aimer ce que nous sommes », c’est assumer toutes les facettes de sa personnalité, alors Christophe peut se venter d’avoir brillamment réussi son pari en mélangeant des morceaux d’une rare sophistication formelle – profond et sensible à la fois dans ses textes et ses partis pris artistiques –, à des plages plus ludiques, consciemment kitch, tel « Tonight Tonight » dont raffolera son public habituel.
Pourtant, Christophe échappe facilement aux clichés en mélangeant les genres et les cartes, en jouant du vocodeur et des synthétiseurs, d’un piano qui pleure sous les sentiments ambigus, sombres et lumineux à la fois, pour nous faire plonger dans son univers, oreilles et cœurs aux aguets à la découverte d’un personnage attachant dans sa complexité et son ambivalence assumée. Influences ethniques et guitare électrique en bandoulière, exaltation des montées en puissance des violons, voix écorchée par ce mélange de modernisme et de mélancolie, Christophe se livre et se délivre tout entier, amoureux fou et transi, romantique, pudique et provocateur à la fois pour toucher son auditoire.
Certains y verront peut-être, par manque de référence ou de vécu, l’expression d’un ego démesuré ou d’un jeu de miroir pseudo intellectuel. J’y ai vu pour ma part une envie d’exister complètement, totalement, à travers des mélodies souvent belles et pas si faciles, servies par des textes que l’on prend plaisir à décrypter sous la production luxueuse qui les habille.
Et puis il y a ces amis, ces visites qui habitent le disque en filigrane, comme la voix d’Isabelle Adjanie sur « Wo wo wo wo », le premier morceau, la trompette au timbre tellement personnel d’Erik Truffaz sur le magnifique « Odore di femina », les gitans qui entourent Moraito Chico ou le piano de Carmin Appice quand Christophe ne se met pas lui-même à l’instrument.
Aimer ce que nous sommes est un album troublant, séduisant, sombre et différent, sensible et puissant, que l’on prend plaisir à écouter tout entier, pour entrer complètement dans l’univers d’un artiste qui mérite largement sa place dans une discothèque d’aujourd’hui. En tout cas dans la mienne !



Un peu de technique :

Il suffit d’écouter la dernière plage du disque pour prendre conscience du nombre impressionnant de personnalités, de techniciens, d’artistes et d’instrumentistes mis à contribution pour réaliser cet objet sonore complexe. Enregistré dans huit studios situés dans trois pays différents (France, Angleterre et Espagne), Aimer ce que nous sommes aurait pu se révéler moins convaincant techniquement que musicalement. Mais il faut croire que Christophe et Christophe Van Huffel, responsables de la production, savaient ce qu’ils faisaient au moment de rejoindre en un tout cohérent les délires et les voyages d’un artiste qui préfère visiblement la courbe à la ligne droite. Aimer ce que nous sommes est un album étonnant, pas toujours parfait, mais remarquablement abouti compte tenu de cette complexité viscérale. Tout le monde semble y trouver sa place au sein d’un espace sonore électroniquement très travaillé, qui ne manque pas de mettre en valeur chaque interprète. Mélange d’ambiances électroniques et acoustiques, le disque nous emmène en voyage, nous ballade dans les rues sombres d’une ville la nuit ou sous les feux des projecteurs d’une boîte de nuit, emporté par des basses profondes et contrôlées, un haut du spectre tour à tour rustique et croustillant de détails, mais toujours dans l’emphase d’une mise en scène qui ne ménage rien pour impressionner l’auditeur. Evidemment, les réverbérations exacerbées, surtout sur les voix, et les effets stéréo feront leur petit effet sur n’importe quel transducteur, même si la compression omniprésente étouffe parfois un peu la dynamique dont sont capable les plus gros systèmes.

Christophe
Aimer ce que nous sommes
Chez Universal Music

A écouter aussi: Comme si la terre penchait

dimanche 3 août 2008

Une heure chez Pierre Henry - musique concrète

Du 4 au 15 Août 2008 - Séances à 16 h 30 et 18 h 30

Une production Festival Paris Quartier d'Eté & Son/Ré



Pierre Henry tel qu'en lui-même

par Christian Izorce




Pierre Henry chez lui - crédit photo Geir Egil Bergjord

Quatre-vingt-un ans déjà, figure singulière et chenue, le regard parfois ailleurs mais encore acéré, il reçoit de nouveau le public en sa demeure, comme il l’a fait à déjà trois reprises au cours des dernières années. Quatre éditions de " Pierre Henry chez lui " au total, plusieurs douzaines de séances, bien moins onéreuses qu’une psychanalyse – alors que l’immersion dans pareil environnement sonore et créatif peut assurément conduire le visiteur très loin à l’intérieur de lui-même !

Des séances où nous sommes donc admis à investir la maison de Pierre Henry pour une heure environ. Séances qui commencent par la visite d’un lieu littéralement hors-norme, et se poursuivent par la projection in situ de pièces de musique concrète. Séances qui s’accompagnent de la possible déambulation dans ce merveilleux capharnaüm (que tout inconscient normalement constitué rêve d’avoir en permanence pour cadre de vie). Le public est en effet invité à s’installer, qui à la cave, qui à la cuisine ou dans une chambre, et à changer de pièce à l’intermède s’il le désire.
Des conditions qui suscitent l’écoute rapprochée et attentive, forcément concentrée, d’un événement musical exceptionnel, au sens propre du terme.


Inlassable sculpteur sonore

En effet, comment mieux appréhender le travail d’inlassable sculpteur sonore de Pierre Henry, qu’en se rendant directement à son domicile ? Comment mieux se laisser pénétrer de ses plus intimes pensées, qu’en s’immergeant un (trop) court moment dans son propre univers, peuplé d’objets et d'œuvres hétéroclites ? Comment mieux abolir la distance et le voile posés par toute forme de mise en scène, qu’en acceptant cette invitation au plus près ? Tout en sachant le compositeur présent, juste dans la pièce à côté (dans laquelle il ne se retranche ni ne s’expose).


Pierre Henry à la table de mixage - crédit photo Geir Egil Bergjord


Bien entendu, l’absence de mise en scène est aussi mise en scène. Et comme aiment également à le souligner les physiciens, quoi que l’on fasse pour éliminer les obstacles et les filtres, la mesure (ici, l’écoute) influe singulièrement sur l’objet et la quantité à mesurer. Oui mais, là, nous sommes au contact le plus direct qui soit avec la matière acousmatique créée par Pierre Henry, nichés bien au cœur de ce petit accélérateur de quanta sonores qu'est sa maison. L’instant est pure musique, pure création, car posé à la source même du jaillissement sonore.
Mais il est aussi éloigné que faire se peut d’une quelconque forme de " work in progress " - formule devenue ces derniers temps assez convenue, pour ne pas dire galvaudée. Car ce qu’a diffusé Pierre Henry " chez lui " au cours de ces années, ce furent des créations nouvelles et finies (que l’on a d’ailleurs retrouvé éditées in extenso au disque aussitôt projetées).


Une redécouverte de l'œuvre

Ainsi l’a voulu l’auteur, ainsi se déroulera, du 4 au 15 Août, le millésime 2008 d’ Une heure chez Pierre Henry : premières parties constituées de pièces anciennes et moins anciennes – et en seconde partie, la projection de " Miroir du Temps ", composé pour la circonstance. Une heure pendant laquelle le Maître (et quand même démiurge) officie, mais sans cérémonial particulier, assis derrière sa table de mixage, tout au contrôle de son travail, qu’il qualifie lui-même d’artisanat. Il y est secondé par Bernadette Mangin, son assistante musicale de toujours, et projette ses pièces à travers un réseau dépareillé de haut-parleurs, disséminés dans toutes les pièces de ce petit édifice du XIIe arrondissement de Paris.
Cinquante œuvres au total, et l’auteur qui déclare : "J’ai tenté dans ce miroir temporel de retracer les jalons de toute mon œuvre depuis soixante ans". L’occasion de (re)découvrir ce travail est donc unique, car la quasi-totalité des compositions majeures de Pierre Henry y seront données, du moins sous forme de séquences, mais dans un programme qui change de séance en séance…


Face au miroir, que voit-on ?

" Miroirs du temps ", seule création de ce cycle de séances, contient à l’évidence l’essence même de l'œuvre de Pierre Henry. A commencer par cette lente introduction aux accents surannés de piano préparé, organisés en une belle et progressive consonance… Nous y retrouvons ensuite, plongés dans un futurisme brut parcouru à rebours - sorte de régression salutaire vers une poésie bruitiste un peu " datée " mais toujours hypnotisante -, une forme très construite qui compose la bande-son du ballet désormais presque familier des particules élémentaires de cette curieuse physique.
Ballet qui prit naissance il y a une bonne soixantaine d’années.
Une audace folle à l'époque. Une singulière étrangeté aujourd'hui encore.

La visite s’impose.



Discographie du cycle " Pierre Henry chez lui "

Voici ce qu’écrivait Anne Rey il y a quelques années : " Pierre Henry n’est pas un compositeur de musique contemporaine, au sens quelque peu restrictif du terme. Il n’a jamais trouvé sa place dans les avant-gardes officielles, n’a jamais suscité d’exégèses savantes, et s’il a des disciples, ce n’est pas de son fait ".
Effectivement, il a des disciples, il n’en a même jamais tant eu ! Pierre Henry a produit une œuvre finalement séminale, consciemment ou non. Tout d’abord à l’aide de simples microphones, de magnétophones à bande (voir la collection des vieux Telefunken de son studio) et probablement de plusieurs paires de ciseaux. Cet amateur d’anachronismes travaille depuis quelques années à partir de sons reportés sur DAT (Digital Audio Tape), format issu du monde professionnel mais aujourd’hui " dépassé ", sans l’aide de l’outil informatique. La manipulation concrète des sons sur bande lui reste en effet indispensable. Le traitement et la visualisation des signaux sur station informatique, tout à fait superflus.

Intérieur/Extérieur (1996)

Composé pour la première édition du cycle, dans le cadre du Festival d’Automne à Paris. Un disque dense, qui réclame tout de même une disponibilité d’esprit particulière. Mais alors ! Une œuvre où les riffs de guitare du groupe américain Violent Femmes (entre autres éléments) se dissolvent dans un bouillonnant bain d’huiles sonores essentielles, parfois hérissé d’objets contondants.


Dracula (2003)

Bande son imaginaire d’un film qui n’existe pas mais que tout le monde a pourtant vu. Pierre Henry explore le thème fantastique en s’appuyant sur la Tétralogie de Wagner. Une illustration particulière de ce que peut être la musique concrète telle que définie à ses débuts par Pierre Schaeffer, c'est-à-dire une sorte de métaprocessus compositionnel faisant feu de tout bois, en s’autorisant aussi l’utilisation de séquences et d'œuvres musicales préexistantes. Composé pour la deuxième édition du cycle.


Voyage Initiatique (2005)

Titre ambitieux, mais bien dans l’esprit de l'œuvre du compositeur, qui comporte tout de même des pièces intitulées Le Livre des Morts Égyptien, Apocalypse de Jean, ou encore Dieu. Ce " Voyage… ", plus de quarante ans après le premier " Voyage " (1962), est aussi une merveilleuse manière, sereine et envoûtante, d’aborder ces territoires sonores. Le troisième volet.


Et pour poursuivre l'exploration, se reporter à l'édition Philips en quatre coffrets :

Mix 01.0

Mix 02.0


Mix 03.0

Mix 04.0





L'auteur remercie Elisabeth Le Coënt (MYRA)