samedi 10 mai 2008

Fred Frith à la Fondation Cartier - Par Christian Izorce

Je voudrais aujourd’hui ouvrir mes colonnes à un ami avec qui je partage bon nombre de passions, qu’elles soient musicales, audiophiles ou photographiques. Il y a des rencontres privilégiés dans la vie, et celle de Christian Izorce en est une, tant cet homme éclectique et sensible n’hésite pas à communiquer son enthousiasme à travers un vrai sens de la convivialité et du partage, à celles et ceux qui ont la chance de le connaître. Amateur éclairé de musique classique et contemporaine, touche à tout et bricoleur, oreilles attentives et curieuses lorsqu’il n’a pas l’oeil collé au viseur de son Leica à l’autre bout du monde, c’est avec un plaisir non dissimulé que je l’accueille ici en espérant que ce premier commentaire musical vous donnera envie de passer un peu plus souvent encore sur Ecoutez Voir !

Antoine Gresland


Fred Frith à la Fondation Cartier – Jeudi 8 Mai 2008


Il arrive silencieusement, silhouette carrée, chemise noire et cheveux grisonnants, se glisse derrière la petite scène bien encombrée d’ustensiles divers, d’une Gibson 335 électro-acoustique, de pédales, d’un sampler et de deux amplis-guitare.
S’assoit et lance « Buena cera a tutti » au public parisien.
Le ton est donné !
Guitare posée sur les genoux, grattoir en main : ça va faire mal ! Sans autre forme de procès, Fred Frith commence à solliciter les cordes de son instrument, tapote la caisse, torture déjà la mécanique de la corde de mi à la recherche d’un effet de slide démultiplié …
C’est parti, pour près de quarante cinq minutes d’improvisation contrôlée émaillée d’accidents sonores improbables, de superpositions de motifs tressés à la main, au doigt, à l’ongle … et à la brosse à peindre ou à habits aussi ! Sélectivement incorporés au morceau en devenir et repris en de lancinants drones.
Fred développe un long morceau explorant des contrées sonores tour à tour arides et touffues, faites de la superposition d’aspérités sonores inouïes, émergeant comme par magie de bruits de jeu grossis à la loupe. Cris et chuchotements, souffles et crissements, elles sont le fruit d’une pratique instrumentale débridée mais totalement maîtrisée, qui ne s'impose aucun tabou.
Car il connaît ses guitares le bougre, il les aime, mais il leur fait subir les pires outrages, aussi. Qui aime bien … Vulgaires boîtes métalliques posées et frottées sur les cordes façon bottleneck d’arrière-cour, boîtes qu’il remplit de chaînes, saupoudre de légumes secs, puis dont il frotte le bord à l’archet pour les faire mugir …
Les cordes sont tirées, pincées, puis effleurées, pour être de nouveau frappées avec des baguettes de batterie … Non content de gratter, de frictionner, de taper avec toutes sortes d'objets, Fred-Duchamp (ou Fred-Cage, ou Fred-Lachenmann, comme on voudra) insère d’autres baguettes entre les cordes, les fait glisser, les tord et en tire des accords fluctuants qu’il met immédiatement en boucle. Et cette nouvelle accumulation de patterns rythmiques et harmoniques élabore de beaux développements à la fois planants et chahutés, qui se construisent et s’évanouissent au gré de l’inspiration du compère.

Fred Frith en action avec Massacre en 2003 – crédit photo C. Izorce


Corde à corde avec la guitare

Mais rien n’arrête Fred Frith, qui fait glisser des ficelles entre les cordes de sa guitare, les y noue et s’emploie maintenant à les écarter méthodiquement de leur position de repos, en un geste de string-bending démesuré, afin d’en tirer d’autres gémissements encore …
Et klong ! Une corde pète dans un virage ! Mais les dieux Fender et Les Paul sont avec lui, car même cet accident s’intègre à l’improvisation sonore ... Ca devait bien arriver, non ? Hey Fred, t'as même de la chance ! Avec ce que tu fais subir à ta gratte, elle aurait pu entrer en combustion spontanée !
Le public, amusé, émerveillé, médusé, est majoritairement assis par terre dans la petite salle de la Fondation Cartier, comme au bon vieux temps des happenings new-yorkais que beaucoup ici n’auraient d’ailleurs pu connaître. Il est totalement conquis par ce long et fascinant set, qui se découvre, se révèle et se savoure finalement d’un seul trait à mesure qu’il se construit. Nous buvons la performance du regard et des oreilles, sans ressentir le moindre inconfort, malgré notre station prolongée au ras du béton. Performance qui s’achève en un fading au noir, par lentes nappes d'une sorte de larsen exténué, tandis que Fred-le-clown simule l’assoupissement.
Silence.
De longs applaudissements ponctuent cet étrange voyage musical.
« Serait-ce déjà fini ? » - demandent ces mains crépitantes.
Pas tout à fait.
Retour sur scène, accompagné de Pauline Oliveiros à l’accordéon et du poète John Giorno, ainsi réunis grâce à la programmation Soirées Nomades conçue par Patti Smith.
Giorno entame « Everyone gets lighter », tandis que Pauline Oliveiros et Fred Frith tissent une impro étincelante toute hérissée d’acides fulgurances.
Nous sommes acquis à la cause !
Une ultime apothéose de duo accordéon-guitare ébouriffé clôt ce concert, mémorable moment d’une non-moins mémorable série d’événements, toute entière consacrée depuis Avril dernier à l’esprit beat dont Patti Smith fut il y a bientôt quarante ans l’une des égéries.


Christian Izorce


Discographie subjective


Impossible ici de citer tout Fred Frith, ou d’énumérer ses m
ultiples collaborations. Voici donc une toute petite poignée de références :

Guitar Solos – 1974


Speechless – 1981


The technology of tears – 1988


Allies – 1996


Helmut Lachenmann


Autre iconoclaste expérimentateur, qui a poussé assez loin l'utilisation étendue, parfois paradoxale, des instruments classiques, dans le cadre plus "formel" de la création contemporaine. Écouter notamment les quatuors à cordes – Gran Torso et les 2ème et 3ème quatuors.




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