mercredi 14 mai 2008

Poursuite de la saison musicale de l'ensemble tm+

Musique contemporaine

L'ensemble tm+ à la Maison de la Musique de Nanterre
Prochain concert le 23 mai, au même endroit

Le Geste – Concert du Dimanche 23 Mars 2008
par Christian Izorce

L’ensemble tm+ s’investit depuis plus de vingt ans dans l’interprétation sélective et clairvoyante d’œuvres de notre temps. Créée en 1986 par Laurent Cuniot qui la dirige depuis lors, cette formation protéiforme défriche inlassablement les territoires parfois arides de la musique contemporaine, le plus souvent dans le cadre de partenariats étroits avec les compositeurs.


L. Cuniot en présentation de saison (C.Izorce)


C’est ainsi qu’en Mars dernier, l’ensemble donnait, à la Maison de la Musique de Nanterre, un concert de chambre placé sous la thématique du geste, associant des œuvres de Kaija Saariaho, Philippe Manoury et Philippe Hurel. Comme à son habitude, Laurent Cuniot avait conçu un programme didactique, contrasté mais cohérent, pour le plus grand plaisir d’un public certes initié, mais qui remplissait sans peine l’Auditorium Rameau. Preuve supplémentaire de la réputation dont jouit cet ensemble, les trois compositeurs étaient venus assister à l’exécution de leurs œuvres.



Le compositeur et enseignant Philippe Manoury, né en 1952, était cette saison mis à l’honneur par tm+, qui lui consacrait quatre concerts.

Crédit photo brahms/ircam

Manoury, dont le nom est étroitement associé à l’IRCAM, revendique une filiation naturelle avec des compositeurs tels que Boulez, Stockhausen et Xenakis, et avoue un fort tropisme pour les processus compositionnels, souvent mis en œuvre chez lui à l’aide de l’outil informatique dont il est l’un des spécialistes. C’est ainsi que Jupiter (pour flûte), Pluton, La Partition du Ciel et de l’Enfer, Neptune, qui figurent parmi ses œuvres les plus connues (et, pardonnez cet abus, les plus citées) font appel au traitement du signal en direct ainsi qu’à la captation et à l’exploitation temps-réel des modes de jeu des instrumentistes. Il en résulte des pièces dont le procédé de composition est rigoureusement codifié, mais qui sont sans cesse renouvelées au gré de leurs exécutions - malheureusement trop rares, à l’instar de nombreuses œuvres contemporaines -, et dans lesquelles les interprètes agissent sur leur déroulement même. L’attrait pour l’évolution du motif musical au sein de compositions régies par des lois plus ou moins contraignantes se retrouvait à des titres divers dans toutes les œuvres de ce concert même s’il ne faisait pas appel à l’électronique.

Le programme commençait donc par l’étourdissant Solo pour vibraphone de P. Manoury, interprété de mémoire et de façon extrêmement virtuose par un Florent Jodelet à la fois très en forme et incroyablement précis. Cette pièce, très difficile pour l’interprète, affiche un chromatisme délié soutenu par un tempo souvent rapide, en alternant passages délicats et soudaines éruptions sonores (surprenants et éclatants clusters). Mais elle fait surtout appel au contrôle de la résonnance des lames du vibraphone, qu’il s’agit de freiner d’un geste approprié au moment voulu par le compositeur. En dépit du caractère naturellement cristallin et aérien de l’instrument, il s’agit donc d’une pièce très tenue, sous-tendue par une logique implacable, qui fixe pour chaque frappe individuelle des conditions de début et de fin rigoureusement définies.

L’on passait ensuite à Terrestre, composé en 2002 par K. Saariaho, qui constitue en fait le second mouvement de son concerto pour flûte Aile du Songe. L’effectif réunissait flûte solo, percussion, harpe, violon et violoncelle. Basée sur un recueil de poèmes de Saint-John Perse consacré aux oiseaux (« Birds »), la ligne soliste parfaitement maîtrisée par Gilles Burgos y fait grand usage de modes de jeu explorés au vingtième siècle (exacerbation et vocalisation du souffle, whistle-tone) … Une pièce un peu plus technique, plus démonstrative peut être que d’autres opus de la compositrice finlandaise, très habile à peindre de vastes fresques sonores en constante évolution, et qui reste toujours très attachée à déployer un savant espace tonal, subtil travail sur les timbres, affirmant ainsi une filiation revendiquée avec le courant dit spectral.

Retour au solo, ici dédoublé, des Loops III pour deux flûtes, composé par Philippe Hurel. Pièce qui n’est pas sans rappeler l’esprit des Sequenze de Luciano Berio, notamment pour son aspect théâtral et virtuose, obligeant physiquement les solistes Anne-Cécile Cuniot et Gilles Burgos à traverser l’espace de la scène pour suivre une longue partition déployée sur plusieurs chevalets. Ici, le traitement compositionnel vise notamment à faire fusionner les deux flûtes en un seul instrument dès lors pourvu de capacités contrapuntiques étendues. Selon les propos mêmes du compositeur : « chaque transformation des petits motifs énoncés conduit inévitablement à une boucle que l’on a déjà entendue, et l’auditeur est pris peu à peu dans une dans une sorte de toile d’araignée dont il lui est très difficile de s’échapper ». Il s’agit effectivement d’une pièce spectaculaire, lancinante, et qui pousse pratiquement les solistes – et les auditeurs - dans leurs derniers retranchements …

La seconde partie du concert commençait par l’exceptionnel Michigan Trio de Manoury, pièce qui lui fût commandée en 1992 par l’École de Musique de la Michigan State University. Toutes résonnances dehors, cette pièce concentrée et sobre bénéficiait ici de la très grande proximité entre musiciens et spectateurs. Cette œuvre intègre en effet dans son discours les divers modes de jeu et les résonnances de la table d’harmonie du piano, au même titre que les développements mélodiques et harmoniques en eux-mêmes. La qualité de silence requise pour en jouir pleinement est donc très élevée. On y appréciait notamment le jeu de Dimitri Vassilakis, incroyablement sombre et tendu dans le grave, cristallin et tranchant dans l’aigu, et qui devait souvent laisser les résonnances du piano s’exprimer jusqu’à leur dernier souffle ou presque. A plusieurs reprises, le clarinettiste Francis Touchard allait littéralement verser la fin d’une phrase musicale dans le piano ouvert, pour en faire surgir d’étranges échos, ou à l’inverse y récupérer la fin d’un accord en un savant et difficile jeu de morphing spectral, réalisé ici de manière purement acoustique. Le geste, toujours et encore. La perspective sonore irréelle ainsi créée par ces passerelles, la circulation maîtrisée de l’énergie acoustique entre instruments, ouvraient comme une dimension spatiale supplémentaire dans la scène. En dépit de son acoustique naturelle un peu claire, le lieu « mat » du concert se « réfléchissait » ainsi dans le corps même du piano, en une troublante mise en abîme d’un effectif musical resserré, au propos économe.

Le concert s’achevait par Pour Luigi, de P. Hurel, œuvre toute en contrastes (l’expression est galvaudée, c’est un fait !), tant sur le plan rythmique que sur celui de l’écriture. Hurel y mêle effectivement les rythmiques issues des «musiques populaires» au formalisme parfois complexe des «musiques savantes» d’aujourd’hui. Mais ici encore la forme même de la pièce, ses développements et ses régressions, sont excessivement travaillés par le compositeur, très au fait des procédés, vocabulaires et grammaires nouveaux développés dans la seconde moitié du vingtième siècle musical (utilisation des micro-intervalles, jeu sur les spectres, écriture probabiliste, intérêt pour les structures fractales). En dépit de l’érudition manifeste et presque austère qui sous-tend cette œuvre, l’interprétation très vivante qui en était donnée par les solistes de tm+ la débarrassait de tout caractère intellectuel ou abscons.

Nous retrouverons l’ensemble tm+ le 23 Mai prochain, toujours à la Maison de la Musique de Nanterre mais cette fois dans la Grande Salle, pour le dernier concert consacré à Philippe Manoury. Au programme de cette Rose des Vents : Nord Ouest et Sud de Mauricio Kagel, Oi Kuu de Kaija Saariaho et deux très récentes œuvres de Manoury : Cruel Spirals, créée à New-York le 4 Septembre 2007 et une pièce pour 16 instruments commandée par tm+, en création mondiale. Concert à ne rater sous aucun prétexte ! Pour ceux qui souhaitent découvrir les dernières avancées de la création musicale et redécouvrir des oeuvres un peu plus anciennes.


Discographie sélective :

Malheureusement, tm+ ne compte à son actif discographique aucune des œuvres données le 23 Mars (pour l'instant !), d’où la sélection suivante …


Philippe Manoury

La musique de chambre

Last (1997) – Michigan Trio (1992) – Solo pour vibraphone (1989) – Xanadu (1989) – Toccata pour piano (1998) – Ultima (1996)
Ensemble Accroche Note

Editeur : L’empreinte Digitale - 2007



Kaija Saariaho

Laconisme de l'aile – Concerto pour Flûte "L'Aile du songe"

Poèmes : Saint-John Perse - Camilla Hoitenga : flute - Amin Maalouf : récitant - Orchestre Symphonique de la Radio Finlandaise dirigé par Jukka-Pekka Saraste - Kaija Saariaho & Jean-Baptiste Barrière : électronique

Éditeur : Montaigne - 2002


Philippe Hurel

Ritornello in memoriam Luciano Berio - Loops I pour flûte - Loops II pour vibraphone - Loops III pour deux flûtes - Tombeau in memoriam Gérard Grisey
Anne Cécile Cuniot, flûte - Jean-Marie Cottet, piano - Juliette Hurel et Sophie Dardeau, flûtes - Jean Geoffroy, percussion

Éditeur : Nocturne - 2006

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