samedi 7 juin 2008

Coffret Deutsche Harmonia Mundi 50ème anniversaire


Par Christian Izorce



A l’occasion du 50ème anniversaire de sa création, le célèbre label Deutsche Harmonia Mundi publie un coffret reprenant un échantillonnage varié du répertoire principalement baroque enregistré par l’éditeur. Ce coffret de 50 CD est proposé au prix très attractif d’une cinquantaine d’Euros.

On y trouvera rien moins que 47 compositeurs différents, de Giovanni Battista Degli Antonii à Jan Dismas Zelenka, en passant par les beaucoup plus fréquentés Bach, Rameau et Vivaldi. Le coffret couvre en outre une période de plus de six siècles, grâce à la présence (d’ailleurs presque incongrue) de quelques compositeurs médiévaux ! Le plus ancien d’entre eux est Pérotin le Grand (1160 - 1230), tandis que le plus moderne, Luigi Boccherini, naît en 1743 pour s’éteindre en 1805. Mais 90 % du coffret sont consacrés à des compositeurs nés après 1500. Ce coffret fait également une place de choix au maître des maîtres, Johan Sebastian Bach, dont les œuvres (les Variations Golberg, l’Offrande musicale, la Messe en si, les Suites pour violoncelle, …) occupent plus de 7 CD. Rameau et Vivaldi y sont également bien représentés. Mais des compositeurs beaucoup moins connus sont aussi présents. Les œuvres incontournables côtoient donc des plages moins connues du répertoire baroque, à l’instar de ces magnifiques Pièces pour viole et clavecin d’Antoine Forqueray, des Sonates de Jean-Fery Rebel ou du Requiem à 15 de Heinrich Biber.
Les experts pourront peut être critiquer l’absence de certains compositeurs (on pense par exemple à Marc-Antoine Charpentier, Heinrich Schütz, Thomas Tallis, pour ne citer qu’eux), et le choix des œuvres présentées. Mais pour une dépense modique, il serait dommage de passer à côté de cette collection, qui présente un large éventail d’œuvres, dans des interprétations généralement de très haut niveau - voire historiques - et d’une qualité d’enregistrement s’échelonnant manifestement de très bon à exceptionnel. Les gravures ont été réalisées entre 1986 et 1998.
A titre d’illustration, nous vous livrons ici nos impressions d’écoute des tout premiers disques que nous avons écoutés …


Johan Sebastian Bach (1685- 1750) – Suites pour violoncelle
Hidemi Suzuki
Date d’enregistrement : 1996 – DDD

Il n’est pas facile de captiver son auditoire en enchaînant les Suites pour violoncelle, même si le public est a priori acquis à la cause. Si l’on craint la saturation, on peut évidemment choisir de n’en écouter que quelques unes à la fois. Mais l’écoute prolongée de ce disque permet justement de se rendre compte à quel point Hidemi Suzuki fait vivre ces suites sans entraîner la moindre lassitude … Le caractère humain de l’interprétation est ici superbement mis en valeur par l’enregistrement lui-même, riche en micro-informations de jeu et de respiration, et qui situe l’instrument et son maître au cœur d’une belle acoustique réverbérante. Le violoncelle présente un grain magnifique, offre une palette de sonorités tendues et boisées, et jouit d’une brillance très éloquente. La prise de son contribue à bien matérialiser l’instrument, et l’on perçoit sans difficulté tout le travail de salle, qui tend à le défocaliser légèrement. L’instrument, qui ici descend très bas, est restitué de manière un peu plus corpulente qu’au naturel. Et encore … Toujours est-il que l’écoute de ce disque sur un système de qualité est un ravissement permanent … qui incite l’auditeur même hésitant à découvrir ces très belles pages sans aucune retenue.


Antoine Forqueray (1671 – 1745) – Pièces de violes et de clavecin
Jay Bernfield – Viole de Gambe
Skip Sempé – Clavecin
Date d’enregistrement : 1991 – DDD

Merveilleusement captées, ces pièces pour viole et clavecin sont un délice pour l’oreille. Forqueray n’est que d’une vingtaine d’années le cadet de Marin Marais et cela s’entend ! Mais pourquoi bouder notre plaisir ? Ces pièces cumulent tout à la fois expressivité, légèreté et solennité. La Cottin, pour clavecin seul, et La Portugaise, toute en scansion tendue, sont de pures merveilles. Finalement, ce recueil fait sans conteste de Forqueray l’égal d’un Sainte-Colombe. La prise de son est magnifique de naturel du point de vue tonal. Elle est charnelle à souhait et met en relief le jeu et la respiration mêmes des interprètes. Elle propose des instruments au corps bien matérialisé, avec une véritable extension dans le grave. Les amateurs d’authenticité écouteront ces pièces sous un volume modéré, comme il sied avec ces instruments anciens au registre naturellement peu puissant.


Christoph Willibald Gluck (1714 – 1787) – Le Cinese (Les Chinoises)
Anne-Sofie Von Otter – Schola Cantorum Basiliensis – Direction : René Jacobs
Date d’enregistrement : 1986 – DDD

C’est une distribution prestigieuse que l’on retrouve dans cet opéra de chambre (créé en 1754), qui n’est certes pas le plus connu du compositeur. Il s’agit s’il on veut d’un exercice de style à quatre : trois femmes chinoises dont Lisinga, et Silango, son frère, s’emploient à se chanter mutuellement des airs, sur fond de rivalité amoureuse légère. La scène conclusive, qui met en scène les quatre chanteurs, épilogue sur les défauts respectifs des différents styles musicaux évoqués au cours de la soirée …
L’opéra est bien le domaine de prédilection de ce compositeur cosmopolite. Né en Allemagne, le jeune Gluck entreprend à 17 ans des études de philosophie à Prague, puis de composition musicale auprès de Sammartini à Milan. Déjà auteur de plusieurs opéras, il émigre à Londres en 1745, où sa rencontre avec Haëndel tourne au sûr. Cela ne le détourne pas de ses projets artistiques. Après avoir encore parcouru l’Europe, Gluck s’installe à Vienne auprès de la famille princière de Saxe-Hildburghausen à partir de 1752, et y compose, entre autres œuvres, son séminal Orfeo ed Eurydice (1762) qui marque la « réforme de l’opéra ». Moins que le sujet peut-être, la forme des Chinoises est ici relativement classique.
On ne peut que regretter que l’enregistrement ne soit pas de meilleure qualité encore. Si les timbres des chanteurs et leur positionnement dans l’espace sont plutôt bien rendus, le reste de l’orchestre affecte malheureusement une sonorité de tonneau et une dynamique un peu tassée. Le millésime « ancien » de l’enregistrement y est peut être pour quelque chose.


Antonio de Literes (1673 – 1747) – Los Elementos
Al Ayre Espanol – Direction Eduardo Lopez Banzo
Date d’enregistrement : 1998 – DDD

Pratiquement plus connu pour ses zarzuelas (ancêtres de l’opéra comique) dont il fut un maître, Literes n’a finalement composé que deux opéras, un Didon et Enée (dont la paternité lui est d’ailleurs discutée) et les présents Elementos. Le sous-titre de cette œuvre (Opera armonica al estilo ytaliano) en indique clairement l’inspiration, à une époque où, chef de la Chapelle Royale à la cour de Philippe V, la concurrence avec les musiciens italiens invités par le nouveau roi et la suppression des salaires l’oblige à une abondante production.
Los Elementos est un opéra très agréable à entendre, qui malgré son inspiration italienne revendiquée est relevé de rythmes et airs tirés de danses typiquement ibériques. Il est de plus intégralement chanté en espagnol. L’action y est en fait assez réduite. Aux quatre éléments (El Ayre – La Aurora, La Tierra, El Agua, El Fuego) s’ajoute un cinquième personnage (El Tiempo). A l’exception des interventions ponctuelles d’un contre-ténor, ces cinq rôles sont ici tenus par des femmes. Les Éléments, tour à tour opposés puis unis dans leur action sur le monde, finissent par réveiller le Temps, qui leur rappelle sa constance, son éternité, et s’allie avec L’Air (ici associé à L’Aurore) dans la création d’un jour nouveau qui repousse les ténèbres.
L’interprétation par Al Ayre Espanol, très enlevée, a fait l’objet de nombreuses critiques dithyrambiques. Outre les chanteurs, l’effectif rassemble trois violons, une viole de gambe, un violoncelle, une contrebasse, deux guitares, un théorbe et des castagnettes. La prise de son sert à merveille cet ensemble coloré et vivant. On notera notamment une belle impression de profondeur de la scène sonore, ainsi qu’une présentation instrumentale très riche et réaliste.


Retrouvez cette découverte musicale et bien d'autres sur EcoutezVoir magazine : www.evmag.f

Aucun commentaire: